Faut-il congeler les insectes avant de les donner comme nourriture ?

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Cet article est un débat détaillé. Pour approfondir le sujet, nous vous conseillons de regarder cette vidéo réalisée en partenariat.

Les insectes sont une source d’alimentation nécessaire pour l’écrasante majorité des espèces de fourmis et tout un chacun s’accorde sur le fait que cette forme de nourriture est obligatoire pour développer une colonie en bonne santé et dans les conditions les plus naturelles possibles. Pourtant, depuis maintenant deux décennies, une question prête à débat : faut-il congeler les insectes avant de les donner à manger aux fourmis ? Dans cet article, nous allons tenter de répondre à cette problématique. Pour cela, nous tenterons d’appréhender la nécessité d’inclure une source de protéine comme les insectes dans l’alimentation de nos protégées. Ensuite, nous essayerons de comprendre les raisons poussant certains éleveurs à congeler leurs insectes nourriciers. Enfin, nous verrons en quoi la congélation des insectes alimentaires n’est peut-être pas une bonne chose.

Avant de rentrer dans le vif du sujet, il est important de faire un peu de vulgarisation. Les cellules des fourmis, comme chez l’homme, ont besoin des macronutriments, aussi connus sont le nom de protéines, glucides et lipides. Aux côtés des macronutriments, on retrouve les micronutriments ; ceux-ci sont nombreux et regroupent les vitamines et sels minéraux essentiels à la vie cellulaire. Ils sont plus difficiles à quantifier dans la nutrition en élevage, mais tout aussi nécessaires. Chacun de ces nutriments a un rôle bien précis dans les cellules des fourmis. Les protéines sont les éléments de base dans l’expression de l’ADN, l’activité enzymatique (Exemple : venin des ponérinae) et la composition cellulaire. Pour bien nourrir vos fourmis, il est donc d’une importance majeure d’obtenir un équilibre alimentaire entre ces macronutriments et micronutriments. En clair, comme pour n’importe quel animal, vos fourmis vont avoir besoin d’un régime alimentaire équilibré et surtout adapté à l’espèce. Or, si en milieu naturel les protéines sont abondantes, en élevage, elles sont trop souvent négligées ou mal quantifiées.

Dans la nature, les fourmis sont opportunistes, à savoir que la moindre source de nourriture leur conviendra pour peu qu’elle leur demande peu d’effort individuel pour être récoltée. Ainsi les fourmis jouent-elles un rôle majeur dans les écosystèmes en se nourrissant des cadavres d’insectes et animaux morts. Ce comportement leur permet d’avoir accès facilement à une grande quantité d’aliments. Les protéines ainsi récoltées servent en grande partie à nourrir les larves de la colonie afin de permettre leur développement. Les biologistes estiment qu’il y a 7,7 millions d’espèces vivantes sur Terre dont des milliers seraient consommés par les fourmis. L’écrasante majorité de ces espèces consommées seraient de la classe des insectes. Il existe effectivement des alternatives d’aliments protéinés en élevage pour nourrir ses protégées sans leur donner d’insectes. Néanmoins, il semblerait qu’après des milliers/millions d’années d’évolution, les fourmis se soient spécialisées dans la consommation d’insectes, l’un des aliments avec le meilleur bilan en terme de protéines et avec, pour elles, la meilleure assimilation et appétence.

On peut alors se demander comment avoir accès à des insectes pour nourrir sa colonie et s’il y a des risques à cette pratique. Tous les éleveurs sont d’accord sur un point : il ne faut pas donner d’insectes trouvés morts ou en mauvaise santé, car ces derniers pourraient intoxiquer votre colonie. Il faut donc prendre des insectes provenant d’une animalerie ou du milieu naturel. C’est ici que le débat entre en jeu, car tous les éleveurs ne s’accordent pas sur la manière de donner des insectes à leurs fourmis.
Pour certains, il faut congeler les insectes durant 48h à 72h, cette méthode permet d’éviter d’éventuels acariens, parasites ou maladies qui pourraient tuer vos fourmis. Elle permet également de faire mourir sans souffrance ou plutôt en “douceur” les insectes, car le froid a un effet somnolent sur ces derniers. Bien sûr, cette méthode n’exclut pas le fait que toutes les espèces d’arthropodes ne puissent être données. (éviter les coléoptères, les papillons, les réduves, les isopodes…) En suivant ce schéma, il est possible de conserver longtemps des insectes ainsi de ne pas être en manque durant la période hivernale, sans pour autant être obligé de maintenir un élevage nourricier chez soi. Il est d’ailleurs à prendre en considération que demander à une connaissance de nourrir ses fourmis pendant une absence est plus aisée lorsque ces derniers sont congelés et non vivants.

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Mais il y a aussi de gros inconvénients à cette méthode : les insectes congelés perdent en valeur nutritive et certaines protéines parfois essentielles sont abîmées par la congélation. En effet, les insectes congelés vont avoir tendance à être dénaturés et parfois à s’oxyder plus vite. Leur valeur nutritive et gustative va diminuer, car les chocs osmotiques produits par la congélation vont détruire certaines cellules, enzymes et protéines contenues dans l’animal. Certains éleveurs ont également développé des méthodes de stérilisation au micro-onde, mais les problèmes liés à cette méthode restent finalement les mêmes qu’avec la congélation.
La congélation déshydrate également les insectes par réaction de sublimation (passage d’un corps de l’état solide à l’état gazeux : il s’agit de la vapeur d’eau que vous voyez lorsque vous ouvrez votre congélateur).
Ainsi, pour avoir une valeur nutritive similaire, il faudra une plus grande quantité d’insectes congelés que d’insectes fraîchement tués ou vivants. Les insectes congelés vont également avoir tendance à être moins odorants ce qui aura pour effet de les rendre moins appétissants. Ainsi, les fourmis auront parfois tendance à refuser l’alimentation congelée. S’il sera très facile de faire passer l’alimentation des fourmis du congelé vers le frais, le schéma inverse sera nettement plus difficile à mettre en place, cela montrant la préférence de nos protégées. De plus, certaines espèces nécessiteront des insectes frais quoi qu’il arrive (Ponerinae, Amblyoponinae, Ectatomminae, Myrmeciinae et toutes les Poneromorphes en générale). Il sera également à noter que les problèmes liés aux acariens sont maintenant beaucoup plus faciles à gérer qu’auparavant, notamment grâce à l’utilisation du Taurrus et qu’il est de plus en plus facile de se procurer des insectes nourriciers en bonne santé dans le commerce. Les élevages nourriciers ne seront par contre pas une solution à part entière car vous ne pourrez pas nourrir vos fourmis avec constamment les mêmes espèces nourricières sous peine de leur créer des carences.

Pour conclure, nous pourrons dire que la balance argumentative penche nettement en faveur de l’alimentation fraîche et par conséquent, non congelée. Nous pourrons compléter le propos en disant que l’exposition aux divers pathogènes bénins que pourraient transporter les insectes non congelés permettent en réalité d’enrichir le patrimoine immunitaire individuel et adaptatif de vos colonies et ne sont en réalité pas des facteurs directs de mortalité. En cette époque, les acariens suceurs d’hémolymphe ne sont plus une fatalité tragique, ils peuvent maintenant être soignés et il serait dommageable de réduire les qualités de l’alimentation de nos fourmis pour un problème aux solutions multiples. L’argumentation en faveur des insectes congelés se base en réalité sur le confort de l’éleveur et non des animaux.
Donner des insectes stérilisés n’est donc pas une solution contribuant au bonheur et à la santé des colonies d’élevage. On pourra finalement relier cet article à un débat plus grand et intemporel : l’artificialisation des conditions de maintien, est-elle dommageable ou profitable aux fourmis.


Photographie de couverture : portioid.

Réalisé par Antsfourmis, One_ants et Raloufifa.

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