Strongylognathus testaceus

Europe

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Famille : Formicidae

Sous famille : Myrmicinae

Tribu : Crematogastrini

Genre : Strongylognathus

Espèce : Strongylognathus testaceus

Taxonomiste et année de description : Schenck, 1852 (sous le nom d’Eciton testaceum).

Noms vernaculaires : Cette espèce rare et peu connue ne possède aucun nom vernaculaire répandu.

Synonymies et historique taxonomique : Aucun synonyme n’est encore utilisé à l’heure actuelle. Cela n’empêche toutefois pas l’espèce d’avoir connu trois autres noms par le passé ; elle fut originalement décrite comme Eciton testaceum, avant d’être séparée du genre Eciton pour devenir Myrmus emarginatus l’année suivante. Or, le nom Myrmus étant l’homonyme d’un genre d’Hémiptères, afin d’éviter les confusions Mayr la renomma Strongylognathus testaceus plus tard dans l’année.

Les populations britanniques furent décrites sous le nom de Strongylognathus diveri en 1936 sur la base de critères morphologiques peu stables, avant que la synonymie avec S. testaceus ne soit avérée en 1955.

Selon de récentes études (Ward, Brady, Fisher & Schultz, 2015), les Strongylognathus appartiennent en fait au genre Tetramorium, et les deux genres seront donc probablement mis en synonymie dans le futur.

Étymologie genre : Du grec ancien στρογγυλος (strongúlos), « arrondi » et γναθος (gnathos), « mâchoire », d’où « mâchoires arrondies » ; référence aux mandibules lisses et arquées caractéristiques du genre.

Étymologie espèce : Du latin testaceus, désignant ici la couleur de la terre cuite.

Taille gyne : 3,5 à 4 mm

Andrea Montechiarini

 

Taille ouvrières : 2,5 à 3 mm

Taille mâles : 3 à 4 mm

Morphisme : Monomorphe ; la taille des ouvrières d’une même colonie reste assez constante. 

Faisant partie d’un groupe d’espèce cryptiques : Non. Strongylognathus testaceus se distingue facilement des deux autres espèces françaises du genre (S. huberi et S. alpinus, toutes deux extrêmement rares) par une couleur généralement plus claire, et surtout par un vertex très concave : il est ainsi impossible de la confondre en Europe occidentale, même si des espèces proches existent plus à l’Est, telle Strongylognathus karawajewi.

Description et particularités physiques : Les ouvrières de Strongylognathus testaceus sont à première vue très semblables aux Tetramorium spp. qu’elles parasitent ; elles sont néanmoins subtilement plus petites, et de surcroît souvent plus claires avec une coloration allant du jaune au brun, plutôt uniforme à l’exception d’une bande sombre traversant horizontalement le gastre et d’une tête fréquemment rembrunie. En y regardant de plus près, on peut les reconnaître aisément par leur vertex concave, et surtout par leurs exceptionnelles mandibules en « sabre », lisses et arrondies, dépourvues de la moindre dent, qui ne sont pas sans rappeler celles des Polyergus spp. avec lesquelles elles montrent une étonnante convergence. Elles possèdent un aiguillon, bien qu’il ne soit pas fonctionnel.

Les gynes, brunes, petites et fines, peuvent facilement passer inaperçues au milieu des ouvrières hôtes. Leur pilosité est assez importante.

Les mâles, noirs, partagent les singularités des ouvrières et gynes dans une moindre mesure ; leurs mandibules sont ainsi également édentées, et leur vertex légèrement concave.

Description du biotope : Ces fourmis peuvent se rencontrer dans divers biotopes, du moment que les hôtes Tetramorium gr. caespitum nécessaires à leur survie y sont présentes en grand nombre ; elles sembleraient néanmoins avoir une préférence pour les milieux argileux ou argilo-calcaires. On les trouve souvent en montagne entre 1 000 et 1 500 mètres d’altitude, parfois jusqu’à 2 000 mètres, où l’hôte ciblé est alors Tetramorium alpestre. 

One Ants

Nidification : Cette parasite ne conçoit pas de nid, et profite de celui des Tetramorium qui l’hébergent. Celui-ci est terricole, et souvent partiellement établi sous des pierres.

Démographie : Les colonies de Strongylognathus testaceus n’excèdent généralement pas 200 ouvrières, la majeure partie du couvain se développant en sexués. Ces inquilines se trouvent au milieu d’un nid de Tetramorium comptant parfois plus de 20 000 têtes, souvent bien plus populeux qu’une colonie non parasitée ; la proportion d’ouvrières de Strongylognathus dans ces nids mixtes ne dépasse ainsi généralement pas 1 % de l’effectif total.

Particularités comportementales : Strongylognathus testaceus occupe une place unique parmi la myrmécofaune française, et en est assurément l’un des fleurons.

Il s’agit d’une espèce rare, parasite de plusieurs espèces du genre Tetramorium, notamment T. caespitum, T. impurum, T. alpestre et très rarement T. semilaeve. Cette espèce, parasite permanente incapable de survivre sans hôte, est dite inquiline. Gynes hôte et parasite subsistent au sein du même nid, et les deux colonies s’établissent en parallèle sans que l’une ne freine directement le développement de l’autre. Par un jeu de phéromones et d’hydrocarbures cuticulaires imitant celles de leurs hôtes, les Strongylognathus passent parfaitement inaperçues dans le nid, ce qui leur permet de profiter du gîte et du couvert sans le moindre effort. Leur seul impact direct sur la colonie de Tetramorium est l’inhibition de la production de sexués chez ces dernières.

La gyne de Strongylognathus testaceus, passant la majeure partie de son temps inactive, est le plus souvent retrouvée à proximité de la reine hôte. Les ouvrières inquilines, faibles et dont les mandibules en forme de faucilles ne permettent pas d’exécuter la plupart des tâches coloniales, sont entièrement dépendantes de leurs hôtes et demeurent oisives, bien que très nerveuses et parcourant activement le nid. Les mandibules falciformes de ces ouvrières, parodies impuissantes des redoutables sabres des Polyergus spp., ne sont pas aptes à blesser les autres fourmis s’opposant à elles. Elles s’élancent courageusement au combat lors des grandes « batailles » opposant deux colonies voisines de Tetramorium, fréquentes chez ce genre, mais s’y font presque systématiquement tuer.

Strongylognathus testaceus conserve donc une caste ouvrière, bien que dégénérée, alors qu’elle est absente ou presque chez la plupart des fourmis inquilines ; puisqu’elle ne semble donc pas être une inquiline « parfaite », certains sont tentés de la classer parmi les esclavagistes. Les ouvrières n’organisent pourtant pas de raid contre d’autres colonies de Tetramorium pour en subtiliser du couvain, contrairement à d’autres espèces du genre véritablement esclavagistes telle Strongylognathus huberi. Elles sont en effet trop faibles pour ces rapts, à peine capables de porter les nymphes de Tetramorium. Il s’agit donc d’une espèce unique, à mi-chemin entre le dulotisme et l’inquilinisme, souvent qualifiée à ce titre d’« esclavagiste dégénérée ». La caste ouvrière, devenue inutile, viendra peut-être à disparaître au fil de l’évolution, pour laisser place à une production exclusive de sexués comme chez la plupart des inquilines. L’espèce asiatique Strongylognathus potanini, uniquement connue d’une pincée de gynes et mâles, illustre peut-être l’étape suivante dans la voie de l’inquilinisme. 

Rareté : Considérée comme rare, c’est avant tout sa discrétion qui lui doit d’être si peu observée : sauf en période d’essaimage, il est impossible de savoir de l’extérieur si une colonie de Tetramorium est parasitée ou non. C’est cependant de loin l’espèce la plus commune et la plus régulièrement observée du genre, se trouvant même parfois en nombre localement ; les rencontres avec d’autres Strongylognathus sont quant à elles rarissimes.

Alimentation : Les Strongylognathus dépendent entièrement de la nourriture que les Tetramorium leur fournissent par trophallaxie. Elles peuvent à peine se nourrir seules en léchant des liquides sucrés, leurs mandibules lisses étant particulièrement handicapantes. 

Essaimage : Les sexués de Strongylognathus testaceus peuvent être produits en nombre dès l’année suivant la fondation si la démographie de la colonie hôte le permet. Les essaimages ont lieu en après-midi ou en début de soirée, de fin juin jusqu’à début août. Ils peuvent occasionnellement être notables, même s’ils passent souvent inaperçus à cause de la petite taille des gynes et de la discrétion des colonies.

Fondation : Dépendante ; la gyne, incapable de s’occuper seule de son couvain, doit se faire adopter par une colonie de Tetramorium pour fonder. Cette infiltration n’est pas sans risque, et les échecs sont fréquents. La gyne pond peu de temps après l’adoption, puis les premières ouvrières émergent à l’automne, même si la majorité du couvain de la première génération passe la diapause au stade larvaire.

Gynie : Cette espèce semble généralement monogyne : une seule gyne parasite fécondée est présente dans la colonie, coexistant avec une unique gyne hôte. Toutefois, l’existence de colonies faiblement polygynes n’est théoriquement pas impossible, et a déjà été expérimentée avec un relatif succès en captivité.

Cycle de développement : Cette espèce est exogène-hétérodynamique : l’entrée en diapause est provoquée par la baisse des températures extérieures, l’horloge biologique de la colonie n’ayant pas ou peu d’influence sur ce processus.

Strongylognathus testaceus se retrouve dans une majeure partie de l’Europe, et déborde même sur l’Ouest de l’Asie. Il s’agit de l’espèce la plus répandue du genre. En France, on la retrouve surtout dans le Sud ; la connaissance de sa répartition à l’échelle régionale est encore très lacunaire à cause de sa rareté et de sa discrétion, et elle reste à découvrir en de nombreux endroits.

Répartition française selon Antarea :

Température de maintien : 21-27 °C. 

Installation : Cette espèce se contente de toute installation également appréciée par son hôte ; ainsi, après une fondation en tube à essai, la plupart des nids classiques conviendront, qu’ils soient en plâtre ou béton cellulaire blindés, en pierre reconstituée, en plexiglas, ou autre.

Hygrométrie : De 30 à 60 % de la surface du nid humidifiée.

Diapause : Comme pour la grande majorité des espèces françaises, la diapause est nécessaire au bon développement de la colonie. Elle aura lieu durant environ 3 mois et demi, généralement de novembre à mars, à une température comprise entre 7 et 15 degrés.

Alimentation en élevage : Les Strongylognathus testaceus ne fourragent pas, et ne profitent que de la nourriture apportée via les trophallaxies de leurs hôtes. En élevage, ces dernières se nourrissent classiquement de diverses substances sucrées (pseudo-miellats, beetle jelly, fruits…), complémentées d’insectes fraîchement tués.

Foreuse ? : Les mandibules lisses et impuissantes des Strongylognathus ne leur permettent pas d’être foreuses ; néanmoins, leurs hôtes Tetramorium le sont et n’hésiteront pas à creuser ce qui peut l’être lorsqu’elles manquent de place, c’est pourquoi il est préférable d’utiliser un nid blindé.

Fondation : Dépendante. Pour faire fonder la gyne, il faut la faire adopter à une colonie de Tetramorium du groupe caespitum, comptant déjà de préférence au moins une trentaine d’ouvrières. Rien n’empêche bien sûr de tenter l’adoption sur une colonie hôte bien plus avancée, ce qui favorisera grandement le développement des inquilines : le nombre d’ouvrières de la première génération semble directement lié à la démographie de la colonie hôte. Ces premières ouvrières n’émergent qu’en petit nombre à l’automne, la plupart du premier couvain subissant la diapause pour continuer son développement au printemps suivant.

Pour réduire les risques d’échecs de l’adoption et d’ainsi éviter la perte de la précieuse gyne, on peut user de diverses variantes ; par exemple, ne donner au départ que des nymphes de Tetramorium à la reine de Strongylognathus, d’où émergeront rapidement de fidèles esclaves, et de n’introduire une gyne de Tetramorium qu’après la fondation de la parasite réussie.

Dans tous les cas, les processus d’adoption sont toujours très risqués ; ils demandent à l’éleveur d’être attentif à chaque instant, et de savoir réagir immédiatement en cas de problème.

Détails à ajouter : Cette espèce formidable est extrêmement rare en élevage, sa discrétion in natura ne facilitant pas sa trouvaille. Les retours d’élevage n’étant pas courants, les informations sur celui-ci le sont également ; il reste sans nul doute beaucoup à apprendre sur le sujet !

Difficulté d’élevage : Sûrement facile si la rigueur est de mise. La fondation, notamment le processus d’adoption, est une phase souvent délicate, où les échecs sont courants comme chez toutes les espèces parasites. Après cette étape difficile, la colonie semble prospérer facilement tant que ses hôtes sont elles aussi en bonne santé, même si ces inquilines paraissent cependant plus sensibles au stress. Toutefois, les retours d’élevage sont encore trop peu nombreux pour pouvoir évaluer la réelle difficulté d’élevage de l’espèce.

Photographies utilisées :

  • Dick Belgers : photographie de couverture.
  • Philipp Hönle : gyne in vivo (illustration de la fondation et photographie de conclusion)
  • April Nobile via Antweb.org : spécimens CASENT0106266, CASENT0173184, CASENT0173185 & CASENT0173196
  • One_Ants : illustration du biotope
  • Andy_montechiarini

Sites Internet :

  • Antwiki.org
  • Antweb.org
  • Antmaps.org
  • Antcat.org
  • Antarea.fr
  • Inpn.mnhn.fr

Publications myrmécologiques :

  • Nouvelles données sur la répartition de Strongylognathus huberi Forel, 1874 (Hymenoptera, Formicidae) en France (Christophe Galkowski & Christian Foin, 2013)
  • Strongylognathus diveri sp. n. (Hymenoptera, Formicidae), a genus and species new to the british list, with notes on the genus (Donisthorpe, 1936)
  • Chemical deception among ant social parasites (Guillem et al., 2014)
  • Inventaire des fourmis du mont Coronat (Blatrix, Lebas, Galkowski, Wegnez, 2015 (association AntArea))
  • Ueber die Abtheilung der Myrmiciden, und eine neue Gattung derselben. (Mayr, 1853)
  • Les fourmis de la Suisse. Systématique, notices anatomiques et physiologiques, architecture, distribution géographique, nouvelles expériences et observations de mœurs. (Forel, 1874)
  • The evolution of myrmicine ants: phylogeny and biogeography of a hyperdiverse ant clade (Hymenoptera: Formicidae) (Ward, Brady, Fisher, Schultz, 2015)

Ainsi que l’expérience et les observations des éleveurs. Fiche rédigée par Claviger.

1) Classification et Signification :

Famille : Formicidae

Sous famille : Myrmicinae

Tribu : Crematogastrini

Genre : Strongylognathus

Espèce : Strongylognathus testaceus

Taxonomiste et année de description : Schenck, 1852 (sous le nom d’Eciton testaceum).

Noms vernaculaires : Cette espèce rare et peu connue ne possède aucun nom vernaculaire répandu.

Synonymies et historique taxonomique : Aucun synonyme n’est encore utilisé à l’heure actuelle. Cela n’empêche toutefois pas l’espèce d’avoir connu trois autres noms par le passé ; elle fut originalement décrite comme Eciton testaceum, avant d’être séparée du genre Eciton pour devenir Myrmus emarginatus l’année suivante. Or, le nom Myrmus étant l’homonyme d’un genre d’Hémiptères, afin d’éviter les confusions Mayr la renomma Strongylognathus testaceus plus tard dans l’année.

Les populations britanniques furent décrites sous le nom de Strongylognathus diveri en 1936 sur la base de critères morphologiques peu stables, avant que la synonymie avec S. testaceus ne soit avérée en 1955.

Selon de récentes études (Ward, Brady, Fisher & Schultz, 2015), les Strongylognathus appartiennent en fait au genre Tetramorium, et les deux genres seront donc probablement mis en synonymie dans le futur.

Étymologie genre : Du grec ancien στρογγυλος (strongúlos), « arrondi » et γναθος (gnathos), « mâchoire », d’où « mâchoires arrondies » ; référence aux mandibules lisses et arquées caractéristiques du genre.

Étymologie espèce : Du latin testaceus, désignant ici la couleur de la terre cuite.

2) Morphologie et Identification : 

Taille gyne : 3,5 à 4 mm

Andrea Montechiarini

 

Taille ouvrières : 2,5 à 3 mm

Taille mâles : 3 à 4 mm

Morphisme : Monomorphe ; la taille des ouvrières d’une même colonie reste assez constante. 

Faisant partie d’un groupe d’espèce cryptiques : Non. Strongylognathus testaceus se distingue facilement des deux autres espèces françaises du genre (S. huberi et S. alpinus, toutes deux extrêmement rares) par une couleur généralement plus claire, et surtout par un vertex très concave : il est ainsi impossible de la confondre en Europe occidentale, même si des espèces proches existent plus à l’Est, telle Strongylognathus karawajewi.

Description et particularités physiques : Les ouvrières de Strongylognathus testaceus sont à première vue très semblables aux Tetramorium spp. qu’elles parasitent ; elles sont néanmoins subtilement plus petites, et de surcroît souvent plus claires avec une coloration allant du jaune au brun, plutôt uniforme à l’exception d’une bande sombre traversant horizontalement le gastre et d’une tête fréquemment rembrunie. En y regardant de plus près, on peut les reconnaître aisément par leur vertex concave, et surtout par leurs exceptionnelles mandibules en « sabre », lisses et arrondies, dépourvues de la moindre dent, qui ne sont pas sans rappeler celles des Polyergus spp. avec lesquelles elles montrent une étonnante convergence. Elles possèdent un aiguillon, bien qu’il ne soit pas fonctionnel.

Les gynes, brunes, petites et fines, peuvent facilement passer inaperçues au milieu des ouvrières hôtes. Leur pilosité est assez importante.

Les mâles, noirs, partagent les singularités des ouvrières et gynes dans une moindre mesure ; leurs mandibules sont ainsi également édentées, et leur vertex légèrement concave.

3) Biologie :

Description du biotope : Ces fourmis peuvent se rencontrer dans divers biotopes, du moment que les hôtes Tetramorium gr. caespitum nécessaires à leur survie y sont présentes en grand nombre ; elles sembleraient néanmoins avoir une préférence pour les milieux argileux ou argilo-calcaires. On les trouve souvent en montagne entre 1 000 et 1 500 mètres d’altitude, parfois jusqu’à 2 000 mètres, où l’hôte ciblé est alors Tetramorium alpestre. 

One Ants

Nidification : Cette parasite ne conçoit pas de nid, et profite de celui des Tetramorium qui l’hébergent. Celui-ci est terricole, et souvent partiellement établi sous des pierres.

Démographie : Les colonies de Strongylognathus testaceus n’excèdent généralement pas 200 ouvrières, la majeure partie du couvain se développant en sexués. Ces inquilines se trouvent au milieu d’un nid de Tetramorium comptant parfois plus de 20 000 têtes, souvent bien plus populeux qu’une colonie non parasitée ; la proportion d’ouvrières de Strongylognathus dans ces nids mixtes ne dépasse ainsi généralement pas 1 % de l’effectif total.

Particularités comportementales : Strongylognathus testaceus occupe une place unique parmi la myrmécofaune française, et en est assurément l’un des fleurons.

Il s’agit d’une espèce rare, parasite de plusieurs espèces du genre Tetramorium, notamment T. caespitum, T. impurum, T. alpestre et très rarement T. semilaeve. Cette espèce, parasite permanente incapable de survivre sans hôte, est dite inquiline. Gynes hôte et parasite subsistent au sein du même nid, et les deux colonies s’établissent en parallèle sans que l’une ne freine directement le développement de l’autre. Par un jeu de phéromones et d’hydrocarbures cuticulaires imitant celles de leurs hôtes, les Strongylognathus passent parfaitement inaperçues dans le nid, ce qui leur permet de profiter du gîte et du couvert sans le moindre effort. Leur seul impact direct sur la colonie de Tetramorium est l’inhibition de la production de sexués chez ces dernières.

La gyne de Strongylognathus testaceus, passant la majeure partie de son temps inactive, est le plus souvent retrouvée à proximité de la reine hôte. Les ouvrières inquilines, faibles et dont les mandibules en forme de faucilles ne permettent pas d’exécuter la plupart des tâches coloniales, sont entièrement dépendantes de leurs hôtes et demeurent oisives, bien que très nerveuses et parcourant activement le nid. Les mandibules falciformes de ces ouvrières, parodies impuissantes des redoutables sabres des Polyergus spp., ne sont pas aptes à blesser les autres fourmis s’opposant à elles. Elles s’élancent courageusement au combat lors des grandes « batailles » opposant deux colonies voisines de Tetramorium, fréquentes chez ce genre, mais s’y font presque systématiquement tuer.

Strongylognathus testaceus conserve donc une caste ouvrière, bien que dégénérée, alors qu’elle est absente ou presque chez la plupart des fourmis inquilines ; puisqu’elle ne semble donc pas être une inquiline « parfaite », certains sont tentés de la classer parmi les esclavagistes. Les ouvrières n’organisent pourtant pas de raid contre d’autres colonies de Tetramorium pour en subtiliser du couvain, contrairement à d’autres espèces du genre véritablement esclavagistes telle Strongylognathus huberi. Elles sont en effet trop faibles pour ces rapts, à peine capables de porter les nymphes de Tetramorium. Il s’agit donc d’une espèce unique, à mi-chemin entre le dulotisme et l’inquilinisme, souvent qualifiée à ce titre d’« esclavagiste dégénérée ». La caste ouvrière, devenue inutile, viendra peut-être à disparaître au fil de l’évolution, pour laisser place à une production exclusive de sexués comme chez la plupart des inquilines. L’espèce asiatique Strongylognathus potanini, uniquement connue d’une pincée de gynes et mâles, illustre peut-être l’étape suivante dans la voie de l’inquilinisme. 

Rareté : Considérée comme rare, c’est avant tout sa discrétion qui lui doit d’être si peu observée : sauf en période d’essaimage, il est impossible de savoir de l’extérieur si une colonie de Tetramorium est parasitée ou non. C’est cependant de loin l’espèce la plus commune et la plus régulièrement observée du genre, se trouvant même parfois en nombre localement ; les rencontres avec d’autres Strongylognathus sont quant à elles rarissimes.

Alimentation : Les Strongylognathus dépendent entièrement de la nourriture que les Tetramorium leur fournissent par trophallaxie. Elles peuvent à peine se nourrir seules en léchant des liquides sucrés, leurs mandibules lisses étant particulièrement handicapantes. 

Essaimage : Les sexués de Strongylognathus testaceus peuvent être produits en nombre dès l’année suivant la fondation si la démographie de la colonie hôte le permet. Les essaimages ont lieu en après-midi ou en début de soirée, de fin juin jusqu’à début août. Ils peuvent occasionnellement être notables, même s’ils passent souvent inaperçus à cause de la petite taille des gynes et de la discrétion des colonies.

Fondation : Dépendante ; la gyne, incapable de s’occuper seule de son couvain, doit se faire adopter par une colonie de Tetramorium pour fonder. Cette infiltration n’est pas sans risque, et les échecs sont fréquents. La gyne pond peu de temps après l’adoption, puis les premières ouvrières émergent à l’automne, même si la majorité du couvain de la première génération passe la diapause au stade larvaire.

Gynie : Cette espèce semble généralement monogyne : une seule gyne parasite fécondée est présente dans la colonie, coexistant avec une unique gyne hôte. Toutefois, l’existence de colonies faiblement polygynes n’est théoriquement pas impossible, et a déjà été expérimentée avec un relatif succès en captivité.

Cycle de développement : Cette espèce est exogène-hétérodynamique : l’entrée en diapause est provoquée par la baisse des températures extérieures, l’horloge biologique de la colonie n’ayant pas ou peu d’influence sur ce processus.

4) Répartition :

Strongylognathus testaceus se retrouve dans une majeure partie de l’Europe, et déborde même sur l’Ouest de l’Asie. Il s’agit de l’espèce la plus répandue du genre. En France, on la retrouve surtout dans le Sud ; la connaissance de sa répartition à l’échelle régionale est encore très lacunaire à cause de sa rareté et de sa discrétion, et elle reste à découvrir en de nombreux endroits.

Répartition française selon Antarea :

5) Élevage :

Température de maintien : 21-27 °C. 

Installation : Cette espèce se contente de toute installation également appréciée par son hôte ; ainsi, après une fondation en tube à essai, la plupart des nids classiques conviendront, qu’ils soient en plâtre ou béton cellulaire blindés, en pierre reconstituée, en plexiglas, ou autre.

Hygrométrie : De 30 à 60 % de la surface du nid humidifiée.

Diapause : Comme pour la grande majorité des espèces françaises, la diapause est nécessaire au bon développement de la colonie. Elle aura lieu durant environ 3 mois et demi, généralement de novembre à mars, à une température comprise entre 7 et 15 degrés.

Alimentation en élevage : Les Strongylognathus testaceus ne fourragent pas, et ne profitent que de la nourriture apportée via les trophallaxies de leurs hôtes. En élevage, ces dernières se nourrissent classiquement de diverses substances sucrées (pseudo-miellats, beetle jelly, fruits…), complémentées d’insectes fraîchement tués.

Foreuse ? : Les mandibules lisses et impuissantes des Strongylognathus ne leur permettent pas d’être foreuses ; néanmoins, leurs hôtes Tetramorium le sont et n’hésiteront pas à creuser ce qui peut l’être lorsqu’elles manquent de place, c’est pourquoi il est préférable d’utiliser un nid blindé.

Fondation : Dépendante. Pour faire fonder la gyne, il faut la faire adopter à une colonie de Tetramorium du groupe caespitum, comptant déjà de préférence au moins une trentaine d’ouvrières. Rien n’empêche bien sûr de tenter l’adoption sur une colonie hôte bien plus avancée, ce qui favorisera grandement le développement des inquilines : le nombre d’ouvrières de la première génération semble directement lié à la démographie de la colonie hôte. Ces premières ouvrières n’émergent qu’en petit nombre à l’automne, la plupart du premier couvain subissant la diapause pour continuer son développement au printemps suivant.

Pour réduire les risques d’échecs de l’adoption et d’ainsi éviter la perte de la précieuse gyne, on peut user de diverses variantes ; par exemple, ne donner au départ que des nymphes de Tetramorium à la reine de Strongylognathus, d’où émergeront rapidement de fidèles esclaves, et de n’introduire une gyne de Tetramorium qu’après la fondation de la parasite réussie.

Dans tous les cas, les processus d’adoption sont toujours très risqués ; ils demandent à l’éleveur d’être attentif à chaque instant, et de savoir réagir immédiatement en cas de problème.

Détails à ajouter : Cette espèce formidable est extrêmement rare en élevage, sa discrétion in natura ne facilitant pas sa trouvaille. Les retours d’élevage n’étant pas courants, les informations sur celui-ci le sont également ; il reste sans nul doute beaucoup à apprendre sur le sujet !

Difficulté d’élevage : Sûrement facile si la rigueur est de mise. La fondation, notamment le processus d’adoption, est une phase souvent délicate, où les échecs sont courants comme chez toutes les espèces parasites. Après cette étape difficile, la colonie semble prospérer facilement tant que ses hôtes sont elles aussi en bonne santé, même si ces inquilines paraissent cependant plus sensibles au stress. Toutefois, les retours d’élevage sont encore trop peu nombreux pour pouvoir évaluer la réelle difficulté d’élevage de l’espèce.

Sources et crédits :

Photographies utilisées :

  • Dick Belgers : photographie de couverture.
  • Philipp Hönle : gyne in vivo (illustration de la fondation et photographie de conclusion)
  • April Nobile via Antweb.org : spécimens CASENT0106266, CASENT0173184, CASENT0173185 & CASENT0173196
  • One_Ants : illustration du biotope
  • Andy_montechiarini

Sites Internet :

  • Antwiki.org
  • Antweb.org
  • Antmaps.org
  • Antcat.org
  • Antarea.fr
  • Inpn.mnhn.fr

Publications myrmécologiques :

  • Nouvelles données sur la répartition de Strongylognathus huberi Forel, 1874 (Hymenoptera, Formicidae) en France (Christophe Galkowski & Christian Foin, 2013)
  • Strongylognathus diveri sp. n. (Hymenoptera, Formicidae), a genus and species new to the british list, with notes on the genus (Donisthorpe, 1936)
  • Chemical deception among ant social parasites (Guillem et al., 2014)
  • Inventaire des fourmis du mont Coronat (Blatrix, Lebas, Galkowski, Wegnez, 2015 (association AntArea))
  • Ueber die Abtheilung der Myrmiciden, und eine neue Gattung derselben. (Mayr, 1853)
  • Les fourmis de la Suisse. Systématique, notices anatomiques et physiologiques, architecture, distribution géographique, nouvelles expériences et observations de mœurs. (Forel, 1874)
  • The evolution of myrmicine ants: phylogeny and biogeography of a hyperdiverse ant clade (Hymenoptera: Formicidae) (Ward, Brady, Fisher, Schultz, 2015)

Ainsi que l’expérience et les observations des éleveurs. Fiche rédigée par Raloufifa.

 

 

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